Grand Paris : plongée dans les coulisses des compétences intercommunales

05/07/2025

Enjeux métropolitains : pourquoi s’intéresser aux intercommunalités du Grand Paris ?

Traverser les rues du Grand Paris, c’est longer plus d’un siècle d’hésitations politiques et de tâtonnements institutionnels. Derrière la Tour Montparnasse, à Saint-Ouen, Gennevilliers, ou jusqu’aux champs de Torcy, ce ne sont plus les seules communes qui orchestrent le quotidien urbain, mais de grandes structures collectives : les intercommunalités. Depuis la création de la Métropole du Grand Paris en 2016, mais aussi des Territoires et de puissantes communautés d’agglomération, ces groupements exercent des compétences-clés, parfois invisibles, le plus souvent déterminantes pour le visage de la métropole.

Mais que recouvre exactement ce pouvoir intercommunal ? Sous ce mot un brin technique, quelles décisions, quels volets de la vie urbaine, sont pilotés par ces structures ? S’intéresser à la répartition des compétences, c’est entrer dans le laboratoire où s’inventent le logement, la mobilité, l’écologie urbaine, l’économie... et prendre la mesure des défis quotidiens à l’échelle d’une ville-monde.

Une architecture institutionnelle complexe, reflet de l’histoire parisienne

Avant de plonger dans le concret, rappelons que, contrairement à d’autres métropoles (Lyon, Lille, Bordeaux), Paris s’est dotée d’un système institutionnel hybride et évolutif. Depuis 2016, la Métropole du Grand Paris (MGP) coiffe un puzzle de 12 établissements publics territoriaux (EPT), véritables “mini-intercommunalités” aux compétences larges, qui fédèrent 131 communes sur 814 km² et près de 7,2 millions d’habitants (source : INSEE, 2022).

À cela s’ajoutent plusieurs communautés d’agglomération en grande couronne, parfois à cheval sur plusieurs départements. Ce maillage à étages superposés génère une redistribution complexe des rôles : qui fait quoi, à quel échelon, rémunère, gère, décide ? Où commence la compétence intercommunale, où s’arrête celle du maire ou du conseil municipal ?

  • MGP : stratège et planificateur
  • EPT : opérateurs de proximité
  • Communes : gestion du quotidien et représentation démocratique

Entrons dans le détail des domaines d’action.

L’urbanisme en partage : planifier la ville qui vient

Pas de Grand Paris sans urbanisme métropolitain : qui rêve ou craint la mégapole, pense aux tours, aux grands projets, aux plans d’ensemble. Les intercommunalités sont, depuis la loi MAPTAM (2014) puis NOTRe (2015), les véritables chefs d’orchestre de la stratégie urbaine sur leur périmètre.

  • Plan Local d’Urbanisme intercommunal (PLUi) : la quasi-totalité des EPT du Grand Paris ont pris la main sur l’élaboration, la révision et la gestion du PLU de leur territoire, dessinant ainsi les zones constructibles, les règles d’aménagement, la trame verte, les hauteurs, les orientations d’aménagement, là où hier chaque maire tenait seul le crayon.
  • Déclarations d’utilité publique, ZAC, grandes opérations urbaines : l’impulsion et le pilotage des grands projets, de la concertation à la livraison, se décide au niveau intercommunal.

Une anecdote ? En 2023, c’est Plaine Commune (EPT situé au nord de Paris) qui a piloté la révision du PLUi englobant la transformation attendue de Saint-Denis et l’accueil d’équipements majeurs comme ceux des Jeux Olympiques Paris 2024. Une révolution discrète mais profonde, qui bride et anime à la fois la créativité des communes.

Habitat, logement social et politiques de peuplement : vers une solidarité intercommunale

Le logement figure parmi les plus grands chantiers partagés. En Île-de-France, près de 50 % des résidences principales sont des logements collectifs (source : INSEE, 2020). La pression économique, sociale, foncière s’intensifie : comment répartir le logement social, respecter la loi SRU, favoriser la mixité ?

  • Programme Local de l’Habitat (PLH) : c’est à l’intercommunalité qu’il revient d’établir le nombre de logements à produire, leur répartition, leurs typologies – y compris les quotas de logement social (la fameuse barre des 25 % imposée par la loi Solidarité et renouvellement urbain).
  • Grand Paris Habitat, la SEM d’habitat social créée par la MGP en 2016, coordonne la production, la rénovation, la répartition, ce qui permet parfois de dépasser les logiques de “chasse gardée” entre villes.

En première couronne, 47 % des nouveaux logements sociaux produits en 2022 l’ont été sous maîtrise intercommunale directe (données : Observatoire régional du logement social).

Mobilités urbaines : des réseaux qui dessinent la métropole de demain

Le Grand Paris, c’est l’empire du RER, des bus traversant les frontières départementales, bientôt de la « super-métro » (Grand Paris Express). La compétence mobilité n’est plus uniquement régionale. Depuis 2021, les intercommunalités peuvent devenir autorités organisatrices des mobilités (AOM), en co gestion avec Île-de-France Mobilités, pour :

  • les dessertes de bus « maillage fin » (ex : quartiers excentrés, zones d’activités périphériques)
  • le développement de solutions de mobilité partagée (autopartage intercommunal, vélos en libre-service), parfois à l’échelle de réseaux plus vastes que la commune (par exemple : les stationnements relais en bordure d’A86, pilotés par Marne-la-Vallée ou Est Ensemble).

Près de 135 lignes de bus du Grand Paris sont aujourd’hui opérées ou cofinancées par les EPT (source : Île-de-France Mobilités, 2023).

Développement économique : stimuler l’attractivité et l’emploi

Grande inconnue d’hier, le pouvoir économique des intercommunalités ne cesse de croître. Avec 23 millions de m² de bureaux et plus d’1,5 million d’emplois, la métropole ne cesse d’attirer.

  • Zones d’activités économiques (ZAE) : c’est la collectivité qui aménage, gère, relève les défis de la requalification ou de la logistique du dernier kilomètre.
  • Aides directes aux entreprises : exonérations fiscales, appui à l’implantation, accompagnement des filières locales.
  • Portes d’entrée à des filières innovantes : la French Tech du Val de Bièvre, l’urbanisme transitoire à Est Ensemble, sont autant d’exemples d’initiatives coordonnées intercommunalement.
Territoire Crée d’emplois 2022 (chiffres INSEE) Surface d’activités réhabilitée (m²)
Plaine Commune +4 800 65 000
Grand-Orly Seine Bièvre +3 200 38 000

La compétition parfois féroce entre territoires pour accueillir le prochain siège tech ou la logistique urbaine dessine des cartes du pouvoir hors du centre parisien.

Gestion des déchets, politique écologique, nouveau terrain intercommunal

Sur la métropole, l’écologie urbaine s’expérimente à grande échelle, portée par les compétences intercommunales en matière de :

  • collecte et traitement des déchets ménagers, en lien avec les syndicats spécialisés (Syctom, Sigidurs...)
  • plan climat-air-énergie territorial (PCAET), dont les objectifs sont fixés à l’échelle de l’EPT ou de la MGP
  • gestion des réseaux d’assainissement (eaux pluviales, eaux usées)

Le Syctom gère près de 2,3 millions de tonnes de déchets par an, soit la masse produite par quasiment 6 millions de Franciliens. Depuis 2022, chaque EPT doit adopter un plan d’action climat, avec des objectifs chiffrés (réduction des émissions, rénovation énergétique des bâtiments publics…).

Culture, sport, solidarité : le maillage local de la vie urbaine

Les intercommunalités, c’est aussi un filet de solidarité, parfois plus souple et audacieux qu’à l’échelon communal. Exemples de compétences et d’actions :

  • Bibliothèques à rayonnement intercommunal (ex : Médiathèque Jean-Pierre Melville à Est Ensemble, animée sur 9 communes)
  • Réseaux de piscines et d’équipements sportifs mutualisés (Piscine Yves Blanc à Plaine Commune, stades rénovés via des fonds intercommunaux)
  • Dispositifs intercommunaux de soutien à la jeunesse, accompagnement à la scolarité, accès à la culture

Sur la question de la solidarité, certaines intercommunalités expérimentent des Pôles Solidarité Jeunesse ou des accueils mutualisés pour familles déplacées.

Compétences facultatives et mutualisation : la force de l’échelon intercommunal

À côté des compétences obligatoires dictées par la loi (urbanisme, logement, développement économique…), nombre d’intercommunalités se saisissent de compétences “optionnelles”, au gré des besoins locaux : gestion des fourrières, voirie secondaire, actions de santé publique (prévention, vaccination), expérimentation de jardins partagés, urbanisme transitoire, etc.

La tendance à la mutualisation grandit : un agent sur dix des EPT travaille aujourd’hui sur des missions mutualisées (source : Observatoire régional de la fonction publique, 2022).

Vers des modèles toujours plus intégrés ?

Le jeu des compétences n’est pas figé : les débats sont vifs, sur fond de réformes à venir (ex : “Acte II” de la Métropole ou projet de « métropole unique »). Les compétences pourraient encore se renforcer à l’échelle intercommunale, en particulier sur le climat, les mobilités “du dernier kilomètre” ou le déploiement de la ville numérique.

Reste la question du lien démocratique : comment rapprocher la décision intercommunale (souvent jugée lointaine ou opaque) des habitants, du terrain, du quotidien ? Faut-il davantage d’instances participatives ? De budgets ouverts ?

Encore aujourd’hui, le Grand Paris vit ce paradoxe : une construction institutionnelle à grande échelle qui, pour réussir, doit rendre visible ses compétences… et crédible ses actions auprès des Parisiens et des banlieusards. Un défi d’équilibriste, mais aussi la plus belle promesse d’invention citoyenne pour les prochaines décennies.

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