Parkings en surface : la fin d’une ère dans les quartiers denses du Grand Paris ?

16/06/2025

Voitures à ciel ouvert : une histoire urbaine en mutation

Sur les trottoirs du 12e arrondissement, dans la banlieue de Montrouge ou le long de l’avenue de Paris à Montreuil, le ballet quotidien des voitures à la recherche d’une place s’apparente à une scène familière, presque banale. Pourtant, derrière cette routine urbaine, une discrète révolution est en marche : celle de la disparition progressive des parkings en surface dans les zones les plus denses de la métropole parisienne.

Depuis quelques années, la voirie évolue à pas forcés. Espaces végétalisés, terrasses de café gagnant sur la chaussée, pistes cyclables protégées : la voiture, qui dictait le tempo du paysage urbain depuis les Trente Glorieuses, voit sa place rétrécir. Est-ce le crépuscule annoncé des parkings en surface dans le Grand Paris ? Pour les élus, aménageurs, urbanistes, riverains et automobilistes, la question est brûlante, tant elle croise mobilité, écologie, patrimoine et mode de vie.

Les chiffres-clés d’un basculement silencieux

  • Près de 1,1 million de places en surface recensées en Île-de-France en 2023, selon l’Institut Paris Région, dont 630 000 rien qu’à Paris et dans la petite couronne.
  • À Paris intra-muros, le nombre de places de stationnement en voirie a baissé de 120 000 en vingt ans, passant d’environ 250 000 à 130 000 (Source : Ville de Paris, 2023).
  • 30 % des trottoirs de la Métropole du Grand Paris sont occupés par des voitures en stationnement, ont calculé plusieurs collectifs d’urbanistes.
  • Entre 2018 et 2023, 15 000 places supprimées à Paris, au profit des pistes cyclables et des zones piétonnes (Mairie de Paris).
  • 23 % des ménages parisiens possèdent une voiture aujourd’hui, contre 42 % en 1990 (INSEE, 2022).

La dynamique est claire : la place laissée aux voitures se réduit progressivement, au nom d’autres usages de l’espace public.

L’heure du rééquilibrage urbain

Longtemps, le stationnement en surface a accompagné le développement du tissu urbain dans un contexte d’automobilité croissante. Garer sa voiture « au pied de chez soi » représentait, dans l’après-guerre, un marqueur de modernité et d’accessibilité. Mais face à la densification, la montée en puissance des mobilités douces et l’urgence climatique, ce modèle est désormais remis en cause.

  • Moins de voitures, plus de vie de quartier : la piétonnisation de la place de la Nation (Paris 11e/12e) a vu ses stationnements en surface transformés en espaces de convivialité, profitant aux commerces et aux riverains.
  • Végétalisation accélérée : la « rue végétale » du quartier Ourcq (19e arrondissement) a remplacé 100 places de parking en surface par des massifs fleuris, des bancs et des arbres, contribuant à la lutte contre les îlots de chaleur.
  • Extension des terrasses estivales : depuis la crise du Covid-19, plus de 3 800 emplacements de stationnement convertis en terrasses pour les bars et restaurants parisiens (Source : Ville de Paris, 2023).

Ce n’est plus tant une guerre contre l’automobile qu’un rééquilibrage entre les différents usages de la voirie, où la place du stationnement « à la papa » est continuellement grignotée.

Les nouveaux modèles de stationnement : vers la ville sans voitures ?

La suppression des places en surface, surtout dans les secteurs où le foncier manque et où piétons, cyclistes, bus et camions de livraison se disputent chaque mètre carré, s’accompagne de nouveaux modèles d’organisation du stationnement :

  • Parkings souterrains modernisés : Plusieurs gestionnaires — Indigo, Saemes, Q-Park — adaptent leurs parkings aux nouveaux usages : bornes de recharge électrique, parkings vélos sécurisés, réservations à la demande, espaces de livraison urbaine.
  • Stationnement résidentiel groupé : Dans certains quartiers en renouvellement urbain (Clichy-Batignolles, Massy, Issy Cœur de Ville), des parkings mutualisés sont réservés aux résidents sans emprise directe en surface.
  • Expérimentations du « parking à la demande » : Les applications telles que Zenpark ou Yespark permettent de louer à l’heure ou au mois une place inutilisée, réduisant la pression sur la voirie.
  • Partage des espaces : Des parkings se transforment en lieux multi-usages : stockage, logistique urbaine, espaces sportifs temporaires ou « tiers-lieux » culturels, comme l’ancien parking République à Montreuil devenu salle d’escalade.

Mais ce basculement ne va pas sans tensions ni paradoxes.

Des résistances persistantes, des questions sans réponse

Moins de stationnement en voirie, c’est parfois… plus de voitures tournant pour trouver une place. Selon une étude du Cerema (2022), jusqu’à 30 % du trafic à Paris le soir serait lié à la recherche d’un stationnement.

Du côté des commerçants, en particulier en petite couronne (Saint-Ouen, Vincennes, Levallois), la crainte est vive : moins de places, c’est un risque de voir diminuer la clientèle motorisée. Les collectivités tentent de convaincre par des mesures d’accompagnement, mais les controverses demeurent (exemple : débats autour de la suppression de places avenue de la République à Bagnolet).

Autre sujet de crispation : la question du stationnement pour les artisans et les professionnels (plombiers, infirmiers, livreurs…), pour qui la disparition du stationnement en surface pèse sur l’activité. La Ville de Paris a d’ailleurs réservé 19 000 places « pros » et tente d’élargir l’offre, mais la demande demeure forte (Source : Paris.fr, 2023).

Et derrière la « ville apaisée », un écueil : la tentation de rendre la ville moins accessible à ceux qui vivent en périphérie, où la voiture reste encore une nécessité faute de transports suffisants (93 % des Franciliens hors Paris possèdent encore une voiture, INSEE 2022).

Comment d’autres métropoles s’y prennent-elles ?

Le Grand Paris n’est pas seul à avancer à marche forcée sur le stationnement. Coup d’œil sur quelques stratégies internationales, sources d’inspiration… ou d’alerte :

  • Barcelone : la capitale catalane multiplie les « superblocs » (superilles), où la circulation et le stationnement en surface sont drastiquement limités, libérant massivement l’espace pour les piétons et la végétation.
  • Berlin : Objectif de réduire d’un quart les places de stationnement en surface d’ici 2030, en compensant par des parkings souterrains, une augmentation des amendes et un report massif sur les mobilités douces (Tagesspiegel, 2023).
  • Amsterdam : 11 000 places de stationnement en surface supprimées en moins de 6 ans, pour atteindre l’objectif d’une ville davantage cyclable et piétonne (Gemeente Amsterdam).

Dans ces métropoles, la tendance est indéniable : stationner en surface dans les quartiers denses devient un privilège rare, parfois réservé aux riverains, partagé temporairement ou soumis à des tarifs dissuasifs.

Les prochains défis : équité, logistique… et acceptabilité

Pour le Grand Paris, l’enjeu n’est pas simplement de supprimer des places, mais d’inventer un nouveau contrat urbain. Quelques défis à venir :

  1. L’équité sociale : Comment continuer à permettre l’accès à la ville pour tous, y compris ceux dont la voiture reste un outil indispensable : familles, personnes à mobilité réduite, travailleurs en horaires décalés ?
  2. La logistique urbaine : Livraison du dernier kilomètre, livraisons express, e-commerce : où garer les véhicules utilitaires indispensables à la vie du quartier ?
  3. La gestion du foncier libéré : Comment éviter la tentation de la « minéralisation », en faisant la place belle à la végétalisation, à la réinvention des usages de la rue, plutôt qu’à la spéculation immobilière ?
  4. L’acceptabilité politique : Suppression des places, passage en zone 30, piétonnisation : la révolution du stationnement suscite polémiques et débats, du conseil de quartier à la mairie centrale. La concertation n’a jamais été aussi nécessaire.

Quelle ville demain ?

Au fil des années, les places de parkings en surface dans les zones denses semblent promises à une diminution continue. Plus qu’une question de mobilité, il s’agit d’un projet de société : quel usage voulons-nous faire de l’espace public ? Devient-il un bien rare à partager autrement ?

Le Grand Paris explore à vive allure la métamorphose de ses voiries, testant, tergiversant, tâtonnant — parfois à tâtons, parfois avec éclat, toujours sous la pression d’usages contradictoires. Peut-être sommes-nous à la veille d’une nouvelle épopée urbaine, où l’ancien empire des voitures cèdera la place à des rues plus vivantes, plus perméables, plus accueillantes, mais aussi plus exigeantes en termes d’organisation et de solidarité.

D’ici là, dans cette métropole où les places se comptent et se disputent, la question du stationnement en surface n’est pas qu’un sujet technique : c’est un révélateur des choix, des tensions et des idéaux qui dessinent la ville en devenir. À suivre au fil des quartiers, des usages et des saisons.

Sources principales : Institut Paris Région, INSEE, Ville de Paris, Cerema, Tagesspiegel, Gemeente Amsterdam

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